La journée a passé, le temps s’est écoulé. Heure après heure, le soir est arrivé. Il ne reste plus beaucoup de temps avant le couchant. C’est donc le moment ultime pour penser tout ce qui doit être pensé, pour dire tout ce qui doit être dit…. Il faut boucler sa journée comme on boucle sa valise, prêt à partir pour le grand voyage. Encore un peu de temps et le jour s'en ira .... C'est l'heure bleue. Le mouvement du monde se calme, le soleil se cache. Je partirai avec le couchant.

dimanche 11 mars 2012

Le véritable amour

L’augmentation des divorces, des séparations, les règlements de compte prenant pour cible les enfants, le mal être des hommes abandonnés, la dépression des femmes seules pour élever leur famille, toutes ces situations sont la résultante d’un manque évident d’amour mais aussi de raison. Car l’amour sans la raison n’est rien d’autre qu’une passade.
Le nécessaire équilibre psychologique que chacun devrait posséder en formant un couple n'est pas quelque chose d'innée. Le passé, l'enfance, le caractère des époux ont priorité sur leur décision de vie à deux et sur leur désir de bonheur.
Or, certaines personnes sont en grande demande d'amour, et ce besoin énorme d'être aimé risque fort de les entrainer dans une spirale de dépendance souvent douloureuse. Cela forme des couples mal assortis, mal compris, ou l’un des conjoints, parfois les deux, deviennent victimes douloureuses de leur passion.
Pourquoi aime-t-on mal, pourquoi supporte-t-on une relation qui nous infantilise, pourquoi nous est-il impossible de quitter un conjoint avec qui la vie est souffrance ? En revenant aux sources du mal aimer, peut être arriverons nous à comprendre le processus de cet engrenage et arriver à libérer ceux qui sont dépendants affectifs. Cet article, un peu long mais complet, apporte des éléments de réponses intéressants.
Par dépendance affective, les psychologues entendent habituellement les relations affectives ou amoureuses excessives, qui font qu'une personne en arrive à n'exister que par l'autre. La personne qui aime l'autre sacrifie tout pour son amour : ses biens matériels, son corps, c'est-à-dire ses énergies physiques et sa santé, et son âme même, c'est-à-dire sa pensée personnelle, sa liberté intérieure, sa culture, ses convictions les plus profondes, notamment ses convictions morales, et jusqu'à ses croyances religieuses.
L'amour ou plutôt l'attachement à l'autre est tel qu'il lui arrache sa propre vie, qu'il la désapproprie d'elle-même. Pour tant de dépenses physiques et morales, la personne dépendante affectivement attend un retour d'amour qu'elle ne reçoit jamais, ou du moins jamais comme elle le voudrait : ses attentes sont toujours déçues.
Elle a un immense besoin d'être aimée, si impératif en elle qu'il lui commande d'acheter l'amour de l'autre, quel qu'en soit le prix. Ce genre d'amour, à l'encontre du véritable amour, est destructeur de la personnalité. Conséquence : une personne dépendante affectivement tend à détruire la vie personnelle de son partenaire et à se détruire elle-même.
Si deux personnes co-dépendantes unissent leur destinée, leur relation à l'intérieur du mariage est vite étouffante. Pour échapper à l'étouffement, on cherche fréquemment un exutoire dans une vie sociale ouverte à toutes sortes d'autres dépendances.
La dépendance affective qui comporte certes différents degrés, ne se vérifie pas seulement dans les relations de couple entre un homme et une femme cherchant à combler leurs besoins affectifs mutuels.
La dépendance affective peut exister du côté des parents vis-à-vis de leurs enfants, comme des enfants vis-à-vis de leurs parents. Elle peut aussi exister dans les relations de personnes de même sexe, qu'elles soient adolescentes ou d'âge mur.
Des parents dépendent de leurs enfants, en ce sens qu'ils paient l'amour de leurs enfants par une démission de leur responsabilité de parents.
Pour être aimés de leurs enfants, ils sacrifient leur autorité, surtout dans le domaine de l'éducation. Par exemple, sous prétexte de s'adapter à la faiblesse de l'enfant, ces parents cesseront d'être eux-mêmes, en se laissant dominer par l'enfant.
Pour des parents ayant eux-mêmes une carence affective, et dont la conduite est plutôt dirigée par les émotions que par la raison, la tentation de se complaire dans la tendresse qui leur est témoignée par leurs enfants est presque irrésistible. Ils éprouvent une peine très vive, lorsqu'ils doivent les punir, de voir leurs petits, s'éloigner d'eux et même de les bouder. Leur cœur s'affole à l'idée de perdre, à tout jamais, leur affection. C'est pourquoi ils se jurent de n'user à leur égard que "d'indulgence", baptisant de ce nom leur lâcheté et leur faiblesse. Pour obtenir la soumission de leurs enfants, ils les supplieront ou encore leur promettront monts et merveilles, les traitant ainsi sans s'en rendre compte comme leurs supérieurs ou dans la meilleure hypothèse comme leurs égaux.
Les capitulations des parents devant les caprices, les exigences déraisonnables, les manipulations, les crises des enfants se font toujours au nom de l'affection, de l'amour, de la tendresse. En réalité, ces capitulations manifestent une certaine immaturité affective chez les parents ; elles sont le signe extérieur d'un désordre affectif, qui peut prendre de graves proportions.
S'il y a des parents dépendants affectivement de leurs enfants, la dépendance affective se vérifie beaucoup plus chez les enfants vis-à-vis de leurs parents. Dans un certain sens, tous les enfants sont des dépendants affectifs, et cela est normal. Sans l'affection de leurs parents, et une affection qui leur apporte la sécurité, l'équilibre et la joie de vivre, les enfants ne peuvent se développer d'une façon harmonieuse. Les enfants ont un besoin naturel, essentiel à leur croissance, d'être aimés et de se sentir aimés. Ils ont besoin d'être protégés, consolés lorsqu'ils souffrent, et sécurisés dans leurs peurs.
Il arrive assez souvent que des parents ne savent pas aimer leurs enfants, soit en usant envers eux d'une sévérité excessive, qui tue en eux la confiance et l'amour, soit en ne manifestant pas à tous la même affection, comblant les uns de tous leurs égards et en privant les autres.
Il est naturel que des enfants qui reçoivent constamment blâmes et reproches et jamais d'encouragement pensent qu'ils ne sont pas aimés de leurs parents, et que peut-être ils ne sont pas dignes d'être aimés, par personne.
Quelle qu'en soit la cause, la carence affective dont souffrent les enfants dès leurs plus tendres années en fait des candidats à la dépendance affective, qui leur fera rechercher plus tard de toutes sortes de manières, l'affection dont ils auront manqué.
Cela peut se produire dans toutes les familles. Mais il est évident que les familles "dysfonctionnelles" offrent le milieu le plus favorable à la dépendance affective des enfants, qui subissent inévitablement dans leur activité le contrecoup de tout comportement excessif de leurs parents. On dit que l'insécurité de la maman affecte déjà l'enfant qu'elle porte. Si l'enfant naît dans un milieu familial perturbé, la peur et l'anxiété grandiront avec lui.
Les enfants qui ne se sentent pas vraiment aimés, bien que parfois ils puissent être comblés de gâteries, développent pour être aimés divers modes de survie, tant il est vrai que sans amour on ne peut avoir le goût de vivre.
Au fond d'eux-mêmes, ils cherchent désespérément la forme d'affection à la fois tendre et virile, apte à les sécuriser, à les pacifier et à les valoriser. Privés de l'affection paisible, ferme, sûre, dont ils ont besoin, sans pouvoir l'exprimer, ils s'estiment sans valeur, indignes de toute considération et ce sentiment peut engendrer en eux la honte d'exister. Rien n'est plus douloureux pour un enfant que de se sentir indigne, coupable d'exister, que d'avoir honte de lui-même. Ce sentiment est une sorte de mort intérieure, beaucoup plus triste et pénible que la mort physique.
Pour échapper aux étreintes de cette mort de l'âme, pour vivre, pour récupérer, en termes d'affection, la valeur dont ils s'estiment privés, certains enfants se donneront tout entiers à ce qu'ils entreprendront et deviendront perfectionnistes.  D'où épuisement des forces, découragement, dépression et souvent régression, c'est-à-dire incapacité de faire aisément les choses faciles. Leur carence affective devenue une dépendance affective, les a engagés dans une voie de démesure, où tout devient compliqué, exténuant.
D'autres enfants, ne se sentant pas aimés, subissant peut-être mépris et rejet, développeront en eux des sentiments de colère. Ils en veulent à leurs parents, non sans raison, s'ils ont été, par exemple, victimes d'abus, de violence, ou traités injustement par rapport à leurs frères et sœurs.
Alors, être rebelles, faire des mauvais coups, c'est leur manière d'attirer l'attention, et de compenser leur souffrance intérieure née de leur carence affective. Ce sont de petits êtres blessés, qui blessent à leur tour leurs parents et se révoltent contre toute autorité, perçue comme source d'injustice et de souffrance. Plus tard, ces enfants seront des dépendants affectifs. Leur besoin d'affection qui n'aura jamais été satisfait explosera dans une recherche aveugle d'amour de la part de personnes qui, dépendantes elles-mêmes, ne sauront pas les aimer vraiment.
D'autres enfants, mal aimés, s'isolent dans leur monde intérieur où ils entendent se mettre à l'abri des heurts et des blessures dont ils auront déjà trop souffert. La peur de souffrir davantage du manque d'affection les pousse à fuir le monde extérieur. Ils s'enferment en eux-mêmes, se refusent à s'ouvrir aux autres ; ils disent ne pas avoir confiance en personne. Dans cette voie apparemment sans issue, bien que cela paraisse paradoxal, ils cherchent l'affection, une affection vraie. C'est la peur de ne pas être aimés qui inspire leur isolement et s'apprête à en faire des inadaptés.
Pour d'autres, leur carence affective les amènera à attirer sur eux l'attention et des soins particuliers, par le biais de malaises, apparaissant comme des maladies. Il n'y a pas de doute que l'insécurité affective à laquelle sont soumis des enfants extrêmement sensibles puisse les rendre physiquement malades. Pour les guérir, il faudra découvrir la cause cachée de leurs maladies.
Par ailleurs, des enfants plus costauds, souffrant de carence affective, attireront sur eux l'attention par un comportement tout à fait opposé à celui de la faiblesse et de la maladie : ce sera par une exubérance affectée, par la bouffonnerie. Ils joueront le personnage du bouffon pour être écoutés, considérés, estimés. C'est un personnage qui voile à la fois leur souffrance et leur soif d'affection, et qui est comme une distorsion de leur vraie personnalité.
Je me suis attardé à décrire différentes manifestations de la dépendance affective chez les enfants, parce qu'elles sont à l'origine des troubles affectifs plus graves des adolescents et des adultes.
Si on n'y prête aucune attention au stade de l'enfance, la dépendance affective ne peut que s'aggraver de plus en plus et devenir une maladie de l'âme qui rend la vie insupportable. Pour découvrir les causes lointaines de la dépendance affective des adultes, on ne pourra jamais se dispenser de remonter à l'enfance.
La dépendance affective peut aussi vicier les relations de personnes de même sexe. Certaines amitiés, ne comportant pourtant aucune déviation sexuelle, sont quand même très malsaines, lorsqu'elles subordonnent entièrement une personne à l'autre, lorsqu'elles aliènent la liberté de l'une ou de l'autre personne, ou des deux. L'ami veut alors tellement conserver l'amitié de son ami, qu'il lui sacrifie, avec sa liberté, son identité personnelle. L'un ne peut plus se passer de l'autre : l'autre devient sa raison de vivre. Certaines personnes s'attachent ainsi tellement l'une à l'autre que la seule perspective de la séparation les jette dans un profond désarroi intérieur, dans l'angoisse.
L'aliénation de la liberté et de l'identité personnelle caractérise davantage, si l'on peut dire, les relations homosexuelles, qui, contredisant la nature humaine qui veut la complémentarité des sexes, comporte un très grave désordre moral. Il est certain que les personnes homosexuelles actives sont très sérieusement atteintes de la maladie de la dépendance affective.
La dépendance affective, enracinée dans la carence affective, n'est pas seulement qu'un désordre affectif, elle est un désordre de la personnalité, dont l'affectivité, au plan de la psychologie, n'est qu'un aspect, l'autre aspect étant celui du caractère, très lié avec l'hérédité biologique et les facultés rationnelles.
Le caractère dont on peut, avec une bonne formation morale, corriger les défauts, ou au contraire les détériorer, représente l'élément plus stable de la personnalité. La dépendance affective, en engendrant des habitudes de comportement destructrices de la liberté intérieure, a pour effet de rendre la personnalité dépendante.
C'est pourquoi le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (le DSM-IV), utilisé par les psychologues et les psychiatres du monde entier, ne traite pas explicitement de la dépendance affective, mais plutôt de la dépendance de la personnalité. La personnalité dépendante y est définie comme un besoin général et excessif d'être pris en charge ; besoin qui conduit à un comportement soumis et "collant", et à une peur de la séparation. Le désordre de la personnalité dépendante apparaît au début de l'âge adulte et se manifeste dans des contextes divers.
D'abord, l'identité personnelle de la personne dépendante est perturbée de diverses manières :
La personne a du mal à prendre des décisions personnelles. Son insécurité la fait hésiter, tergiverser, revenir souvent sur ses décisions. Les décisions à prendre l'angoissent. Elle a du mal à assumer ses responsabilités. En raison de ses peurs, elle voudrait que d'autres interviennent à sa place. Elle tend ainsi à faire peser ses responsabilités sur les autres.
La personne n'a pas le courage de ses opinions et de ses convictions. Pour ne pas perdre l'affection ou l'approbation d'autrui, elle pense comme lui. Finalement, elle n'a plus d'opinions propres, ni de certitudes personnelles.
La personne ne se préoccupe que du regard des autres : la réaction des autres (réelle ou imaginée) devant ce qu'elle est et devant ce qu'elle fait détermine sa conduite. C'est ainsi qu'elle tendra à projeter une belle image d'elle-même, qui la rehaussera aux yeux des autres.
La personne manque de confiance en elle-même : elle souffre d'un complexe d'infériorité. Ce manque de confiance influence sa pensée, son jugement et la paralyse dans ses activités. La personne a peur d'être abandonnée, laissée seule, c'est-à-dire à elle-même. Elle craint la solitude, la privant du soutien et de l'appui d'autrui.
Au plan émotif, la personne dépendante est instable. Elle est dominée par ses émotions, qui la font souvent passer d'un extrême à l'autre, sans raison apparente. Elle a par suite beaucoup de peine à avoir un comportement et des réactions modérées ; elle est donc excessive, tantôt en joie, tantôt en tristesse, tantôt en douceur, tantôt en colère.
La personne souffre particulièrement d'instabilité affective. La joie affective qu'elle peut parfois ressentir est toujours menacée. Son bonheur est fragile, car il dépend essentiellement d'autrui. Lorsqu'elle est en manque d'affection, elle ressent une profonde angoisse au point d'en être paniquée.
Se sentant souvent mal aimée, et même rejetée, par rapport à d'autres personnes qui lui semblent choyées et heureuses, elle éprouve parfois des sentiments d’injustice ; La personne éprouve, très fréquemment, un douloureux sentiment de vide et d'ennui. Cette profonde tristesse peut l'engager à fuir, à se fuir elle-même, dans toutes sortes d'activités extérieures.
Au plan des relations interpersonnelles, la personne dépendante se laisse manipuler et abuser, et elle aussi manipule les autres. Parce qu'elle veut obtenir à tout prix ce qu'elle désire, elle ne discerne pas la vérité du mensonge dans les histoires qu'on lui raconte : elle se fait donc tromper. Et de son côté, parce qu'elle se débat dans un mensonge intérieur concernant l'actualisation de son désir de bonheur, elle manipule les autres.
La personne dépendante est portée à des colères intenses et inappropriées ayant diverses causes. Ce peut être pour se protéger elle-même d'agressions réelles, mais le plus souvent d'agressions qu'elle vit ou revit intérieurement. Ce peut être parce qu'elle est fâchée contre autrui, qui l'empêche d'être elle-même. Ce peut être aussi parce qu'elle en veut au bon Dieu, qu'elle rend responsable de ses malheurs.
L'aspect spirituel de la dépendance affective est relatif à la nature spirituelle de la personne humaine, à ce qui est en elle la source de sa dignité. Car la personne humaine n'est pas seulement un être composé d'un corps (aspect physique) et d'une âme (aspect psychologique); c'est un être, comme le définissent les Pères de l'Église, composé de corps, d'âme et d'esprit, entendant par là qu'il porte au plus profond de lui-même, l'empreinte de l'esprit divin.
La personne humaine a été créée par Dieu à son image et à sa ressemblance. Pour réaliser son identité personnelle, elle doit d'abord et avant tout prendre conscience de sa dépendance absolue et permanente de Dieu. C'est Dieu qui lui donne d'être, de se mouvoir et de vivre.
Même si je ne reconnais pas ma dépendance radicale et totale de Dieu, je n'en deviens pas pour cela indépendant, en ce sens que le souffle de vie qui m'anime vient sans cesse de Dieu, que je ne vis que par Dieu, et que je vivrai aussi longtemps que Dieu voudra bien me laisser vivre.
Ne pas reconnaître ma dépendance de Dieu n'empêchera jamais Dieu de m'aimer, mais ce refus de la reconnaissance de Dieu sur ma vie ne peut que m'empêcher, moi, de l'aimer : et ainsi ce refus de ma condition de créature par rapport au Créateur coupe ma relation vitale avec Lui. Vivre sans Dieu, vivre comme si Dieu n'existait pas aura toujours les conséquences les plus néfastes au plan personnel comme au plan social.
L'insoumission à Dieu, l'indépendance à l'égard de la volonté de Dieu, qui a créé l'homme pour qu'il trouve d'abord en Lui son bonheur, a été est et sera toujours la cause première de tous les malheurs, entre autres de ce malheur particulier qu'est la dépendance affective. La dépendance affective, en effet, n'est pas seulement un désordre psychologique, mais sans préjuger du degré de responsabilité individuelle des personnes dépendantes, elle constitue en elle-même un désordre moral et spirituel, c'est-à-dire un état moral relié au péché, pas toujours d'une façon directe et volontaire, mais toujours d'une façon indirecte et conséquente.
Par rapport à Dieu, qui est le principe et la fin de la vie humaine, et que tous doivent donc aimer par-dessus tout, que se passe-t-il dans le comportement des personnes dépendantes ? Ce qui se passe, c'est que, dans la mesure même où s'exerce la dépendance affective vis-à-vis d’une personne, Dieu n'est pas aimé par-dessus tout, quand il n'est pas totalement oublié.
Dans le mouvement affectif de l'âme, Dieu passe alors au second rang et peut-être au dernier, si on lui laisse un peu de place. Cela signifie que les personnes dépendantes qui n'entreprennent aucune démarche pour sortir de leur dépendance, se maintiennent dans l'incapacité d'observer le premier commandement de Dieu. Aussi, ne pourront-elles jamais goûter le bonheur d'aimer vraiment Dieu.
Ici, il faut faire une remarque qui concerne l'illusion dans laquelle vivent beaucoup de personnes dépendantes. Ces personnes disent parfois qu'elles aiment le bon Dieu de tout leur coeur, et elles ont au sujet de Dieu des expressions admirables. Mais elles ne réalisent pas que l'amour de Dieu ne consiste pas essentiellement ni dans les sentiments, ni dans les paroles, fussent-elles des prières, mais dans les actes. Or, dans la mouvance de la dépendance affective, et dans la mesure que ce que je fais est inspiré par la dépendance affective, quoique j'en pense et puisse en dire, c'est l'objet de ma dépendance et non le vrai Dieu, qui est le motif premier de mes actes, et alors je n'aime pas vraiment Dieu. Or, lorsqu'on n'aime pas vraiment Dieu, c'est-à-dire qu'on ne cherche pas à l'aimer comme il le mérite, on ne réussit pas davantage à aimer vraiment le prochain, c'est-à-dire qu'on l'aime mal, d'une façon désordonnée.
Si le coeur est privé de cet amour de Dieu, dont dépend essentiellement son bonheur, il cherchera, d'abord inconsciemment, à aimer une créature de la façon absolue qui ne convient qu'à Dieu. Cela signifie que sans l'amour de Dieu par-dessus tout, nous sommes tous guettés un jour ou l'autre par la dépendance affective, où ce n'est plus Dieu qui est adoré mais la personne à laquelle nous aurons soumis entièrement notre vie.
La conséquence de ce renversement de l'ordre de l'amour, ne peut être que la déchéance de notre personnalité, une atteinte profonde à sa dignité. Car autant l'amour de Dieu par-dessus tout nous dispose au véritable bonheur, épanouit notre personnalité en la rendant de plus en plus libre spirituellement, autant la dépendance affective est dans notre vie concrète accordé à une personne humaine a de quoi nous rendre malheureux, en nous dépouillant progressivement de notre liberté intérieure et en nous faisant perdre, avec le contrôle de notre vie, jusqu'à notre propre identité.
Il s'ensuit que la définition de la dépendance affective qu'en donne la psychologie n'est pas adéquate, car elle ne fait que mettre en évidence les caractéristiques intérieures et extérieures superficielles de la maladie. Envisagée dans sa dimension la plus profonde, la dépendance affective n'est pas seulement la souffrance de la personne qui se voit dépouillée de son autonomie dans les relations interpersonnelles, c'est d'abord le mal de l'âme qui cherche, en fait, Dieu où il n'est pas, qui court après le bonheur illusoire d'un faux dieu, follement aimé, et qui, par suite, ne peut jamais rencontrer, pour l'investissement qu'elle fait de sa personne, la réponse d'amour qu'elle désire.
En fait, la dépendance affective vis-à-vis d'une personne, ne met pas en oeuvre un amour vrai de l'autre mais un attachement égoïste, où l'on se cherche dans l'autre. L'amour véritable d'autrui s'exprime par une authentique bienveillance, qui suppose désintéressement et gratuité.
Aimer vraiment une personne, c'est lui vouloir du bien indépendamment de moi-même ; c'est lui vouloir du bien même si je n'en retire absolument aucun avantage. Vouloir réellement le bien d'une personne, c'est vouloir que cette personne soit pleinement épanouie, aussi heureuse qu'il est humainement possible de l'être : ce qui est impossible si cette personne est mise dans une situation qui l'empêche de réaliser la volonté de Dieu sur elle.

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