Les amateurs d’histoire s’amuseront à relever les étranges similitudes entre la France d’aujourd’hui et celle des années 1780.
Il suffit de lire la Théorie de l’impôt publiée en 1760 par le vicomte Mirabeau, père du Mirabeau qui fit la Révolution, pour comprendre que, dès cette époque, nombreux étaient les Français qui se plaignaient d’être « étouffés sous tant d’entraves d’un fisc usuraire et ruineux » (page 65 de l’édition originale).
On pourrait d’ailleurs prendre plaisir à comparer les débats sur l’impôt d’aujourd’hui avec ceux de cette époque. Alors que l’excellent Thomas Piketty a plaidé, début 2011, Pour une révolution fiscale fondée sur un impôt universel et proportionnel, le vicomte Mirabeau parlait pour sa part du salaire des fonctionnaires comme d’une « subsistance » qui « doit être fournie par l’universalité des sujets, puisqu’elle est employée au service de tous » (page 48 de la Théorie de l’impôt).
Il critiquait ainsi le système fiscal d’Ancien Régime où, comme dans la France d’aujourd’hui, les niches étaient pléthoriques et l’imposition de certains écrasante.
Il critiquait ainsi le système fiscal d’Ancien Régime où, comme dans la France d’aujourd’hui, les niches étaient pléthoriques et l’imposition de certains écrasante.
Mais le point de similitude le plus frappant est évidemment celui de la dette publique. La France de Louis XVI, comme la France d’aujourd’hui, est structurellement endettée.
Lorsque Louis XVI décide d’envoyer des troupes en Amérique pour aider les Américains à s’affranchir des Anglais, les finances publiques sont déjà mal en point. L’expédition américaine est financée à crédit et la situation devient catastrophique. Durant toute la décennie 1780, les ministres des Finances se succèdent, mais aucun ne parvient à réformer un État irréformable.
Et en 1788, face au gouffre, Louis XVI décide de convoquer les États Généraux pour mener une grande réforme fiscale destinée à régler le problème de la dette. On sait quelles furent les conséquences politiques de cette décision.
Mais comment mesurer le gouffre du déficit ? Dans L’économie de la Révolution française (éd. Belles Lettres, 2007), Florin Aftalion donne quelques pistes. En 1783, l’impôt rend environ 600 millions de livres, et les dépenses sont de 800 millions. Le besoin de financement public se situe donc entre 30 et 35% des recettes de l’État.
Le parallèle avec la France d’aujourd’hui est amusant à dresser. Comme nous calculons notre déficit par rapport au PIB et non par rapport aux recettes de l’État, nous n’y voyons pas clair. On pourrait d’ailleurs épiloguer sur ce choix d’indicateur, puisqu’il ne viendrait à l’esprit d’aucun expert-comptable privé de mesurer les pertes d’un entreprise par rapport à la richesse de ses clients.
Bref, si nous utilisons la technique d’Ancien Régime pour mesurer le déficit de l’État, nous trouvons les chiffres suivants. En 2011 par exemple, le déficit fut de 95 milliards d’euros, pour des recettes d’environ 280 milliards d’euros. Autrement dit, le déficit équivalait à 34% des recettes, soit une situation tout à fait similaire à celle que connaissait la France durant la décennie qui a précédé 1789.Il ne faut inférer évidemment aucune conclusion abusive de ce petit calcul qui montre que notre vieille République est aujourd’hui exposée à la même difficulté financière que Louis XVI. La difficulté majeure de Louis XVI fut son incapacité à revenir à une équilibre structurel des comptes.
On peut benoîtement imaginer (il est interdit de rire!) que la République parviendra à cet objectif que l’Ancien Régime ne put atteindre.
On peut benoîtement imaginer (il est interdit de rire!) que la République parviendra à cet objectif que l’Ancien Régime ne put atteindre.
En outre, les mauvaises récoltes que la France accumule sous Louis XVI exaspèrent le peuple et favorisent un climat révolutionnaire que nous ne connaissons pas encore.
Tout l’enjeu de notre époque est de savoir si les difficultés sociales des Français aujourd’hui sont susceptibles de nourrir un climat du même type que celui des années 1780.
Les mesures que le gouvernement de mai 2012, qu’il soit de gauche ou de droite, devra prendre pour rétablir la situation financière risquent fort d’être un test de résistance sur ce point.
Les Français sont-ils capables d’endurer des mesures semblables à celles qui sont imposées aux Grecs par exemple ? Ou bien manifesteront-ils leur frustration et leur refus ?Article de Article de Éric Verhaeghe, ancien Président de l'APEC (l'Association pour l'emploi des cadres) et auteur de "Au coeur du MEDEF : Chronique d'une fin annoncée" Jacob-Duvernet.
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