Au moment où François Hollande envisage de légaliser le « mariage » homosexuel, la philosophe Sylviane Agacinski – épouse de Lionel Jospin – publie « Femmes entre sexe et genre". Et tord le cou à l"idée reçue que la différence des sexes serait une pure construction sociale.
** Depuis leur apparition dans le cursus de Sciences-Po en 2011, les « Gender studies » suscitent la controverse. Qu’est-ce qui vous a poussée à entrer dans ce débat ?
Je suis intervenue dans le débat en publiant récemment
Femmes entre sexe et genre, pour dire que la notion de « genre » n’éliminait pas toute considération sur les sexes, contrairement à ce que soutiennent Judith Butler et les théoriciens du « Queer». Or je constate que cette position nuancée et longuement argumentée passe difficilement dans la presse. Quiconque ne dit pas aujourd’hui que tout est construit et artificiel est accusé d’être « naturaliste », de tout réduire à la nature et à la biologie, ce que personne ne dit!
Je ne suis nullement opposée, bien au contraire, aux recherches sur le « genre », à Sciences-Po ou ailleurs. Il y a une construction sociale et une interprétation culturelle de la différence des sexes, comme le montre la diversité des cultures, des institutions, des relations sociales.
** Mais la distinction de sexe au sens strict reste pertinente si l’on considère ce que François Jacob appelle la logique du vivant, car les êtres humains sont des êtres vivants, jusqu’à preuve du contraire.
J’ai le sentiment très net que la différence sexuelle est devenue pour certains un véritable tabou, un sujet interdit. Au lieu d’une réflexion philosophique et anthropologique, on a affaire à un combat politique, comme s’il était réactionnaire de dire qu’il existe des hommes et des femmes. C’est assez amusant, au moment où tout le monde se félicite des progrès de la parité… Mais ce ne sont pas les « Gender studies» qui font problème, ce sont les « Queer studies».
** Qu’est-ce qui fonde cette polémique ?
Les « études de genre » concernent l’aspect social des rapports hommes-femmes. Elles ne contestent pas la différence des sexes et l’asymétrie des corps sexués. En revanche, pour la « pensée Queer » ou « Queer theory », représentée par Judith Butler, la question n’est plus la construction sociale des sexes et encore moins l’histoire de la domination masculine, mais la « domination hétérosexuelle». D’où la polémique. Or, c’est complètement autre chose ! Il faut en fait traiter les deux problèmes. Mais, à mon sens, la lutte contre l’homophobie n’implique pas la négation de la différence sexuelle.
** En France, les idées de Judith Butler sont plébiscitées au nom de la libération du corps…
Dans son ouvrage "Ces corps qui comptent" Judith Butler réduit les corps à une matière brute, inerte, plastique, qui n’aurait aucune propriété. C’est là une extrême violence faite au corps, et donc aux personnes, comme je l’ai montré dans Corps en miettes.
Un courant faussement moderne considère le corps comme un matériau de fabrication. Il conduit à considérer les animaux comme des choses, puis les êtres humains eux-mêmes comme des choses. Or les êtres humains sont des individus vivants et des personnes. La distinction entre les personnes et les choses est d’ailleurs fondamentale dans notre droit.
** Quelles sont les conséquences de ces idées sur la conception de la famille ?L’une des conséquences est justement d’envisager l’enfant comme un produit fabriqué en laboratoire et les parents légaux comme des individus neutres, dont le sexe serait indifférent. Pourtant, même lors d’une fécondation in vitro (FIV), les rôles masculin et féminin dans une naissance ne sont pas identiques. Être « père » et « mère » - il se trouve que je suis mère et grand-mère -, c’est donc relatif à notre sexe et non pas à notre sexualité ou à notre « orientation sexuelle ».
On pourra retourner les choses comme on voudra, on n’arrivera pas à faire que ces deux rôles soient interchangeables. Ils sont aussi interdépendants. Cependant, comme ce sont les femmes qui portent les enfants et les mettent au monde, elles peuvent avoir des enfants sans être liées juridiquement à un homme. En revanche, la paternité, réputée incertaine, a été construite sur le mariage et la fidélité de l’épouse, et l’histoire du mariage patriarcal a été celle de la subordination légale des femmes à l’autorité maritale.
** En fait, vous rappelez le lien entre l’institution du mariage et la filiation…
Autrefois, on avait affaire à l’engendrement naturel et à la filiation légale. Ces deux liens tantôt coïncidaient, tantôt étaient distincts, comme dans l’adoption. Ce qui complique les choses, ce sont les nouvelles possibilités biotechnologiques : fécondation in vitro, don de gamètes (ovocytes ou spermatozoïdes), transfert d’embryon, voire gestation pour autrui, là où elle est autorisée. On parle alors d’enfants biologiques, et non plus d’enfants naturels.
** Quels sont les nouveaux défis posés par les technosciences ?
Si l’enfant est conçu comme un objet « fabriqué», plus rien ne fonde sa filiation. Elle devient une construction juridique indépendante des conditions de sa naissance. Donc, tout est possible. Même la notion de père ou de mère devient alors problématique. La notion de couple parental ne s’impose plus nécessairement : pourquoi deux parents et pas trois ou cinq ?
Depuis toujours, la filiation, y compris pour les parents adoptifs, s’inspirait du modèle du couple mixte (homme-femme) et attribuait à l’enfant une double lignée, masculine et féminine. Je pose simplement la question : est-ce qu’on entre dans l’ère de l’enfant fabriqué, de l’homme fabriqué, sans égard pour la logique de la génération ? Si oui, alors il faut savoir que l’on efface tout lien entre ascendants et descendants.
** Comment peut-on prétendre avoir deux papas ou deux mamans ?
On nous dit qu’un enfant peut avoir deux pères ou deux mères. Mais si un enfant peut être élevé par deux hommes, ou deux femmes, faut-il lui laisser fantasmer qu’il peut être issu de deux hommes ou de deux femmes, ou bien faut-il distinguer entre son histoire réelle, ses géniteurs, son origine si vous voulez, et la famille qui l’élève ? Il faut alors lever, comme bien des pays européens, l’anonymat du don de gamètes.
** Le thème de la Gay Pride 2012 est « L’égalité, c’est maintenant !». Comment penser aujourd’hui la notion d’égalité ?
L’égalité ne veut pas dire la similitude. L’égalité homme-femme, égalité des droits, est aujourd’hui en marche. Mais la question est plus complexe que cela puisqu’il y a certains droits qui prennent en compte d’entrée de jeu une dissymétrie sexuelle ou générationnelle, par exemple la différence entre enfant et adulte ou entre adulte et vieillard. Autrement dit, nous n’avons pas, tous, tout à fait les mêmes droits. Le droit à la retraite est tributaire de l’âge, comme le droit à l’éducation. Nous ne sommes pas dans une égalité entre des individus neutres. Les droits sociaux sont liés à une certaine situation, à une certaine condition.
La question qui se pose, c’est notamment celle du droit de l’enfant. Je crains que sous couvert de l’égalité, on ne soit tenté de parler surtout d’un droit à l’enfant. La société doit-elle donner à chacun les moyens techniques d’avoir un enfant, y compris en utilisant le corps d’autrui comme un matériau anonyme (cellules, utérus) ? Il appartient à chacun, mais aussi au législateur, de définir les droits de l’enfant.
De plus, les modernistes ont réussi à neutraliser quasiment toutes les résistances, les groupes dits traditionalistes se ralliant les uns après les autres à la Rome apostate ou brûlant de trouver un accord avec ceux-là mêmes qui détruisent la foi. Avant eux, la quasi-totalité des évêques conservateurs regroupés dans le Cœtus internationalis patrum avaient fini par accepter Vatican II et les réformes qui en sont issues, en signant d’abord les décrets du conciliabule en 1965 et en appliquant la révolution conciliaire dans leur diocèse respectif.
La crise effroyable que nous vivons a une évidente dimension eschatologique, il faut être aveugle ou de mauvaise foi pour l’ignorer.
Si Saint Paul a prédit à Timothée que « les jours viendraient où les hommes ne supporteraient plus la sainte doctrine », si le cardinal Pie a prophétisé que « l’Eglise serait réduite à des dimensions individuelles et domestiques », si la Sainte Vierge a dit à Mélanie à La Salette que « Rome perdra la foi et deviendra le siège de l’Antéchrist », s’il est dit dans la version intégrale de l’Exorcisme de Léon XIII « Là où fut institué le siège du bienheureux Pierre, et la chaire de la Vérité, là ils ont posé le trône de leur abomination dans l’impiété, en sorte que le pasteur étant frappé, le troupeau puisse être dispersé », si avec la synaxe de Paul VI nous voyons « l’abomination de la désolation dans le lieu saint » (Matthieu XXIV, 15), il est non moins vrai que le Christ, chef de l’Eglise, a promis à l’institution qu’il a fondée l’indéfectibilité et c’est fort de cette promesse divine que malgré les ténèbres actuelles, les ruines qui partout s’accumulent, les chrétiens fidèles gardent au cœur une invincible espérance surnaturelle.
Sûrs que le retour du Christ qui détruira l’Antéchrist « par le souffle de sa bouche » (2 Thessaloniciens II, 8) lors de la Parousie rendra à chacun ce qui lui est dû et mettra un terme définitif aux temps apocalyptiques que nous vivons.
Dans cette gigantesque entreprise de destruction qu'aura été le Conciliabule Vatican II rien n’est laissé intact : ni la liturgie désacralisée, ni le catéchisme traditionnel interdit et remplacé par une vague catéchèse droit-de-l’hommiste et œcuméniste, ni les constitutions religieuses, ni l’habit ecclésiastique, ni les Etats, syndicats, écoles et partis chrétiens tous appelés à faire leur mue.
A Eglise nouvelle correspondent sacerdoce nouveau, ecclésiologie nouvelle, messe nouvelle, catéchisme nouveau (1968 avec Pierres Vivantes et 1992 avec le “Catéchisme de l’Eglise catholique”), sacrements nouveaux, communautés nouvelles, nouveau chemin de Croix (1991), nouveau Rosaire (2002), nouveau code de droit canon (1983), nouveau rite d’ordination (1968), nouveau baptême (1969), nouvelle confirmation (1971), nouvelle extrême-onction (1972), nouvelle confession (1973), nouveau bréviaire (1970), nouveau calendrier liturgique (1969), nouvelles huiles saintes (1970), nouveau Notre Père (1966), nouveau Credo (où l’on a remplacé l’expression « consubstantiel au Père » par « de même nature que le Père »). Tout a été dit sur les origines talmudiques de la synaxe voulue par Paul VI, sur l’abandon du caractère propitiatoire du saint sacrifice de la messe, sur l’hétérodoxie du nouveau code de droit canon du 25 janvier 1983 qui lève l’excommunication des francs-maçons. Il n’est pas jusqu’à la morale qui ne soit elle-même corrompue par l’inversion des fins du mariage, par l’abandon du principe traditionnel de l’autorité de l’homme sur la femme, par les discours ahurissants tenus par nombre de clercs sans que ceux-ci ne soient jamais sanctionnés.
Dans une volonté satanique de destruction, on s’en est même pris aux congrégations religieuses dont les constitutions ont toutes été profondément modifées, y compris celle des Chartreux qui n’avait pourtant jamais été remaniée depuis son fondateur saint Bruno. Et les églises elles-mêmes sont transformées : au maître-autel tourné vers Dieu se substitue une simple table orientée vers l’assemblée ; le prêtre (ou ce qui en tient lieu) étant réduit au rôle d’animateur et de président d’une cérémonie sécularisée. Les confessionnaux sont délaissés et font souvent l’office de placards à balais. La chaire est supprimée ou délaissée, manière symbolique de renoncer au pouvoir d’enseignement de l’Eglise, car dans la religion conciliaire nous ne sommes plus dans le schéma de l’Eglise maîtresse de vérité enseignant au monde la voie, la vérité et la vie mais dans celui d’une église enseignée par le monde, apprenant à son contact, réagissant à l’unisson. Il s’agit de mettre en place les conditions d’un mondialisme politico-religieux ; dans le nouvel ordre mondial les religions mises sur un pied d’égalité ne sont en effet que de simples animatrices et de zélés propagandistes de la démocratie universelle et de ses idoles : la déclaration des droits de l’homme, le philosémitisme, la tolérance érigée en absolu, le laïcisme, la liberté de conscience et de culte, l’antiracisme unilatéral et obligatoire, la lutte acharnée contre toutes les discriminations, mêmes naturelles et légitimes.